Penser comme un "homme" : une libération ?
Avant de rencontrer mon copain actuel, j’ai connu trois longues années de célibat. Si celles-ci m’ont paru durer une éternité, c’est en ce que je n’avais jamais été dans cette condition : en tant qu’amoureuse de l’amour, j’avais très peu côtoyé la solitude.
Mes relations rythmaient ma vie : deux ans, quatre ans, un an, de sorte que je ne savais pas réellement ce que c’était que d’être célibataire.
Le célibat choisi
Pourtant, j’ai vite compris que d’avoir besoin d’être constamment en couple était souvent signe de fuite face à sa propre présence.
Et puis, je m’oubliais tellement dans ces relations que la rencontre avec moi-même m’est apparu comme une révélation lorsque j’ai, en pleine vingtaine, décidé de rester seule pendant un temps. J’ai d’abord pris du plaisir, car le célibat allège d’une charge mentale certaine. J’avais enfin du temps pour moi et je n’avais rien d’autre à penser que ce qui allait dans mes intérêts propres.
L’égoïsme à son paroxysme, j’ai eu l’impression de découvrir un monde fantastique où l’amour de soi règne en maître. Quel plaisir.
"L'homme est la seule créature qui refuse d'être ce qu'elle est."
Albert Camus
La solitude, la vraie ?
Et puis… j’ai commencé à me faire chier. Entendez-bien, si le célibat a fini par s’imprégner sur mes tee-shirts, de sorte que je suis devenue l’éternelle célibataire aux soirées entre amis, ce n’est pas la pression sociale qui a fini par peser sur mes épaules, mais bien la tristesse d’un quotidien qui tournait en rond. À terme, on finit par trouver le silence accablant et l’espace restant dans les tiroirs teintés d’ironie.
Pourtant, ce n’est pas tant l’amour qui manque, seulement une présence. On se mets simplement à espérer un peu de compagnie.
Alors au bout de quelques mois seulement, j’ai décidé de me mettre au dating sous les conseils avisés de mes amies.
J’ai installé les applications de rencontre, passé mon compte Instagram de privé en public, mis des photos avantageuses sur mes réseaux… pour les hommes, tous les signes indiquaient « JE SUIS LIBRE (et demandeuse) ». Et me voilà partie pour trois longues années de perdition.
La désillusion de la rencontre
Au départ c’était sympa, bien que mes échanges avec mes homologues masculins se soient avérés la plupart du temps moyens, voire médiocres. Rapidement, j’ai compris les règles du jeu (il n’est pas question de tomber amoureux) et j’ai intégré les codes (une soirée Netflix and chill, c’est tout, sauf une soirée Netflix and chill…).
J’ai dû me faire violence pour digérer le fait que la plupart des hommes que j’allais rencontrer n’avait, en réalité, pas l’intention de m’aimer plus longtemps que le temps d’une soirée. Une maigre attention donnée à mes attentes et aspirations, et nous voilà parti pour un rapide rapport physique à peine satisfaisant.
L'impossibilité de rester détachée
Néanmoins, j’ai peiné à ne pas développer d’attachement pour ces hommes avec qui je partageais parfois de l’intimité. C’est que, les années passant, un vide fini par se faire ressentir, alors on cherche à combler du mieux que l’on peut. On s’attarde sur des détails et on en fait des « signes ».
Mais la réalité nous rattrape rapidement lorsque, suspendu à notre téléphone, l’être désiré ne daigne pas répondre à nos messages.
"VU"
lâché un lundi matin, comme si ça allait pas gâcher ta semaine ...
La fausse liberté
Alors je me suis auto coachée et j’ai abdiqué face à ce mode de pensée dominant. J’ai endossé le rôle de la femme détachée, libre, uniquement intéressée par l’instant présent et sa satisfaction personnelle. Après tout, l’absence d’investissement émotionnel propre à ce type d’hommes était soi-disant gage d’émancipation et la recherche d’une connexion authentique commençait à sonner mainstream dans nos sociétés.
Penser comme un « homme » : voilà le projet. J’ai voulu inverser la tendance et ne plus être la victime de ce cercle vicieux.
Le piège du célibat 'détaché'
Les premiers mois, marqués par ce changement de comportement, ont été synonyme d’exaltation. Il est vrai que l’on prend à certain plaisir à contrôler le récit et ne plus être celle qui espère en vain. On reprend confiance et on se sent inarrêtable. On sélectionne nos conquêtes comme on fait nos courses et on peut même se permettre d’être un peu plus exigente qu’avant. Après tout, c’est lorsque nous n’avons plus rien à perdre que nous sommes libres.
La déshumanisation des relations
Sous le prétexte d’un accord tacite, l’Autre devient un simple objet de plaisir. Il y en a même qui parviennent à se convaincre que c’est ici que réside toute la différence, puisqu’en faisant l’impasse sur l’exclusivité et l’engagement, on se réserve ainsi tous les bénéfices en excluant d’office toutes les contraintes.
Vers une véritable critique de ce célibat "comme un homme"
Pourtant l’aspect déshumanisant, en plus d’être profondément critiquable d’un point de vue éthique, fini par ternir le tableau final. Chaque relation qui est évaluée en termes de rendement et de satisfaction immédiate, est un pas de plus vers la perpétuation d’un modèle de consommation qui s’inscrit dans le domaine de l’intime. Tout devient jetable et remplaçable.
De même, c’est en valorisant l’instantanéité et l’éphémère que l’on se prive de la véritable connexion humaine. À terme, je suis même persuadée que les hommes eux-mêmes ne se retrouvent pas dans ce schéma, où l’individu se protège de la vulnérabilité en niant ses propres besoins émotionnels.
Cette attitude est moins une conquête de liberté qu’une illusion qui occulte notre incapacité à affronter nos désirs profonds.
En réalité, ce comportement résulte d’un piège patriarcal, encourageant les hommes à refouler leurs émotions. Penser comme un homme ne devrait pas signifier se détacher des émotions, mais plutôt embrasser la profondeur et l’authenticité des relations pour véritablement se libérer.